Un « like » sur une publication présente sur un réseau social peut-elle justifier un licenciement ?

Dans son arrêt du 15 juin 2021, la Cour européenne des Droits de l’Homme s’est prononcée sur la liberté d’expression d’une employée, lorsqu’elle exprime la mention « j’aime/like » sur des publications sur Facebook, au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et a conclu à une violation de ce droit fondamental.

Les faits :

Une procédure disciplinaire a été menée contre une agente contractuelle. Il lui était fait grief d’avoir apposé la mention « j’aime » sur des publications de tiers sur Facebook concernant notamment les sujets suivants : critiques politiques envers les autorités, dénonciations d’abus, faits de viol, …

La sanction du licenciement lui fût infligée au motif que ces publications, au vu de leur contenu, étaient de nature à « commettre des actes et faits contenant violence physique, harcèlement sexuel et menace de quelque manière que ce soit » et de « perturber la paix, la tranquillité et l’ordre du lieu de travail ».

L’employée a contesté cette décision et a porté sa cause devant la Cour européenne des Droits de l’Homme en invoquant une violation de l’article 10.

La décision :

Tout d’abord, la Cour relève que le fait d’apposer la mention « j’aime » sur des publications présentes sur un réseau social constitue une forme courante et populaire de l’exercice de la liberté d’expression en ligne.

Ensuite, une analyse de la motivation de la décision de licenciement a été opérée par la Cour qui a relevé notamment ceci :

  • Un examen approfondi de la teneur des contenus litigieux n’est pas intervenu ni des potentielles conséquences de ceux-ci sur le lieu de travail.
  • Ces contenus portent sur des questions de débats d’intérêt général et l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans ce domaine.
  • L’employée n’était pas une fonctionnaire de l’État portant un lien particulier de confiance et de loyauté envers son administration.
  • Le réseau social Facebook est un outil d’exercice de la liberté d’expression. L’employée n’était pas la personne qui a créé et publié les contenus litigieux et son acte se limitait à cliquer sur le bouton « j’aime » se trouvant en dessous de ces contenus. Cette mention exprime seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié, et non pas une volonté active de le diffuser.

Enfin et eu égard à ce qui précède, la Cour a estimé que la motivation de la décision infligée n’était ni pertinente ni suffisante en ce qu’elle ne tenait pas compte de tous les faits et facteurs pertinents pour considérer que l’acte litigieux était de nature à perturber la paix et la tranquillité du lieu de travail de l’intéressée.

La Cour a conclu à la violation de l’article 10 de la Convention vu l’absence de rapport de proportionnalité raisonnable entre l’ingérence dans l’exercice du droit de l’employée à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi.

Que retenir ?

Cet arrêt rappelle le droit à la liberté d’expression dont jouit le travailleur dans sa sphère professionnelle (voir notamment le précédent post : https://commyounity.be/2020/02/17/la-liberte-dexpression-du-travailleur-droit-absolu-ou-passible-de-restrictions) et souligne que la liberté d’expression s’étend également aux commentaires effectués sur les réseaux sociaux (comme la mention « j’aime/like »). Cette simple mention ne peut suffire pour justifier un licenciement.

Source : Cour eur. D.H., arrêt Melike c. Turquie, 15 juin 2021, req. n° 35786/19