N’en déplaise aux journaux, leurs archives numériques ne sont pas immuables

C’est, en substance, ce qu’il convient de retenir d’un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à propos d’un article de presse archivé dont l’anonymisation avait, en vertu du droit à l’oubli, été ordonnée par la justice belge. 

L’éditeur du journal Le Soir soutenait pourtant que cette anonymisation était contraire à la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Or, la CEDH a procédé à une mise en balance des intérêts en présence, en considérant que tant cette liberté d’expression que le droit au respect de la vie privée méritent a priori un égal respect (§93).

Au préalable, la Cour a souligné être pleinement consciente de l’importance de la mise à disposition d’archives sur Internet pour le droit du public à s’informer sur des événements du passé et de l’histoire contemporaine, ainsi que du risque d’effet dissuasif sur la liberté de la presse de l’obligation pour un éditeur de devoir anonymiser un article dont la licéité ne fut pas mise en cause, le risque étant que la presse s’abstienne dorénavant de conserver des reportages dans ses archives en ligne ou qu’elle omette des éléments individualisés dans des reportages susceptibles de faire ultérieurement l’objet d’une demande d’anonymisation (§§100 à 103). Néanmoins, la CEDH affirme expressément que le droit de maintenir des archives en ligne à la disposition du public n’est pas un droit absolu.

Ainsi, il convient de tenir compte d’un certain nombre de critères pour vérifier si la « restriction » à la liberté de la presse qui était demandée sous forme d’anonymisation se justifie, à savoir (i) si la mise à disposition de cette archive contribue encore à un débat d’intérêt public (§§105 à 107), (ii) si la personne concernée bénéficie toujours d’une certaine notoriété, ainsi que l’objet de l’article en cause (§§ 108 à 111), (iii) si la personne concernée a elle-même adopté un comportement recherchant une certaine publicité (§112), (iv) si les informations litigieuses comportaient une certaine part de vérité et furent obtenues de manière légale (§113), (v) si cet article est facilement accessible (§§114 à 122), et, enfin, (vi) si cette mesure d’anonymisation est la plus adéquate ou si d’autres options sont possibles (§§123 à 131).

En l’occurrence, la CEDH a estimé que, dans les circonstances particulières de cette affaire, les juridictions belges avaient procédé à une mise en balance correcte des intérêts en présence. La Cour précise, par ailleurs, que cette décision n’implique pas une obligation pour les médias de vérifier leurs archives de manière systématique et permanente. En réalité, il leur appartient, dit la Cour, non seulement de vérifier le respect de la vie privée lors de la publication initiale d’un article, mais également de procéder à une balance des droits en jeu à propos d’un article archivé, mais seulement en cas lorsqu’ils reçoivent une demande expresse en ce sens (§134).

L’arrêt Hurbain contre la Belgique (57292/16) de la CEDH du 22 juin 2021 est disponible ici :

http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-210467