Le licenciement pour motif grave d’un travailleur protégé : l’occasion de rappeler quelques règles en matière de preuve

licenciementUn travailleur, représentant au conseil d’entreprise, employé auprès d’une mutuelle, connait un conflit de voisinage dans son quartier.

Suite à une plainte de sa voisine, son employeur constate qu’il a pris l’initiative de consulter le dossier de mutuelle de ladite voisine, dans la base de données de la mutuelle. Confronté à ce fait, le travailleur invoque avoir souhaité rendre un service à sa voisine en lui imprimant des vignettes de mutuelle. La victime invoque davantage quant à elle que les données ont été utilisées dans l’objectif de lui causer des ennuis.

L’employeur sollicite du Tribunal du travail la reconnaissance du motif grave afin d’être autorisé à licencier le travailleur protégé pour les faits susmentionnés. Le motif est donc le suivant : avoir utilisé des données confidentielles concernant ses voisins, auxquelles il avait accès de par son emploi au sein de la mutuelle, ce qui est, déjà, en soi, parfaitement interdit, qui plus est afin de leur nuire, dans le contexte d’un conflit de voisinage.

Le Tribunal du travail autorise l’employeur à mettre fin au contrat de travail pour ce motif grave. Appel est toutefois interjeté contre le jugement rendu, de sorte que c’est à la Cour du travail de Bruxelles qu’il revient de trancher en dernier ressort.

Celle-ci va longuement se pencher sur la preuve des faits retenus au titre de motif grave. La Cour va en effet rappeler que, dans le cas d’espèce, sur base des dispositions de la loi du 19 mars 1991 (loi qui organise la protection des (candidats) représentants du personnel), le motif grave constitue le fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave.

Sur cette base, l’employeur doit donc prouver : (i) la réalité du motif, à savoir la consultation du dossier personnel et, (ii) l’absence de motif légitime de la consultation du dossier personnel. Dans ce même contexte, le travailleur invoquant avoir consulté le dossier dans l’objectif d’aider sa voisine en lui imprimant des vignettes, l’employeur doit aussi prouver (iii) la fausseté de cette allégation. Enfin, une intention de nuire étant associée aux faits par l’employeur, ce dernier doit également prouver cet élément (iv).

Dans le cas d’espèce, la Cour rappelle donc certainement l’importance de la charge de la preuve incombant à l’employeur. Les circonstances invoquées par celui-ci font, en effet, également partie de la preuve devant être rapportée. En l’espèce, après avoir démontré sans équivoque qu’il y avait bien eu accès au dossier (ce point étant reconnu par le travailleur), l’employeur est parvenu à démontrer que le prétexte utilisé par le travailleur (l’impression de vignettes) était inventé. La Cour a donc conclu que le travailleur avait consulté le dossier de sa voisine sans motif légitime et a estimé ce motif suffisant pour constituer un motif grave de licenciement (sans que l’intention de nuire ne doive, en outre, être spécifiquement prouvée – bien que la Cour se penchera sur ce point dans un souci d’exhaustivité).

Un autre élément intéressant de cette décision consiste en le fait que, tout en rappelant que l’ensemble des faits constituant le motif grave, doivent être mentionnés dans le courrier d’intention de licencier, la Cour a accepté de tenir compte d’un fait non mentionné dans ladite lettre pour illustrer l’intention de nuire du travailleur licencié.

Un fait non mentionné dans le courrier d’intention de licencier ne peut donc pas être retenu comme motif grave mais peut, par contre, contribuer à prouver l’intention de nuire évoquée dans le courrier d’intention de licencier.  

Source : C. trav. Bruxelles, 7 mars 2019, R.G. n° : 2019/AB/12, http://www.juridat.be