Dans un récent arrêt du 19 septembre 2018, la Cour de justice de l’UE (CJUE) se prononce, d’une part sur la notion de travail de nuit et, d’autre part, sur l’analyse spécifique des risques devant intervenir pour l’occupation d’une travailleuse enceinte ou en situation de maternité dans un poste de nuit.
- Concernant le travail de nuit
La loi belge du 16 mars 1971 sur le travail définit le travail de nuit comme étant le travail exécuté entre 20 heures et 6 heures. Eu égard aux règles spécifiques applicables aux travailleuses enceintes ou en situation de maternité, effectuant du travail de nuit, ce dernier doit être entendu comme le travail principalement effectué entre 20 heures et 6 heures.
Au sens de la loi belge, ce n’est donc que si la travailleuse effectue principalement ses prestations entre 20 heures et 6 heures que des mesures particulières s’appliquent.
Cette règlementation ne semble toutefois pas pleinement conforme au droit européen au vu de l’arrêt de la CJUE ici commenté. En effet, par le recours aux différentes définitions reprises en droit européen, la CJUE décide qu’une travailleuse qui effectue un travail posté (en l’espèce, du gardiennage), dans le cadre duquel elle accomplit uniquement une partie de ses fonctions en horaire de nuit, doit être qualifiée de travailleur de nuit au sens de la directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. L’article 2 de la directive établit en effet qu’est un « travailleur de nuit », tout travailleur qui est susceptible d’accomplir, durant la période nocturne, une certaine partie de son temps de travail annuel.
La loi belge serait donc plus restrictive que l’interprétation donnée par la CJUE du droit européen. A voir les éventuelles suites qui en découleront…
- Concernant l’occupation d’une travailleuse enceinte ou en situation de maternité dans un poste de nuit
L’article 43 de la loi du 16 mars 1971, transposant l’article 7 de la directive 92/85/CEE, précise notamment qu’une travailleuse enceinte ne peut pas être tenue d’exercer un travail de nuit sur présentation d’un certificat médical.
La CJUE s’est prononcée sur la nécessaire analyse des risques qui devait être établie, eu égard aux prestations de nuit, lorsque la travailleuse ne dispose pas d’un certificat médical lui permettant de suspendre ses prestations.
Cette analyse de risques est en principe prévue pour les fonctions exposant leurs titulaires à certains agents, procédés ou conditions de travail (article 4 de la directive et article 42 de la loi belge).
La CJUE estime néanmoins que la réglementation du travail de nuit pour les travailleuses enceintes ne vient que renforcer la protection dont ces dernières bénéficient en application de l’article 4 de la directive, de sorte qu’une analyse des risques est également requise pour l’occupation d’une travailleuse enceinte sur un poste de nuit.
Tel que l’a déjà décidé la CJUE, le fait de ne pas évaluer le risque présenté par le poste de travail d’une travailleuse en état de grossesse, conformément aux dispositions de la directive (exposition à certains agents et, a fortiori, travail de nuit) constitue un traitement moins favorable d’une femme, lié à la grossesse ou au congé de maternité, et donc une discrimination directe fondée sur le sexe.
La CJUE va cependant plus loin dans son arrêt du 19 septembre dernier.
En effet, conformément à l’article 4 de la directive (et à l’article 42 de la loi belge), l’analyse des risques doit comporter une évaluation spécifique prenant en compte la situation individuelle de la travailleuse. Il ne suffit par exemple pas à l’employeur d’établir une déclaration selon laquelle les fonctions exercées par la travailleuse et ses conditions de travail ne comportent pas de risques quant à son état de grossesse ou de maternité. Si des risques ressortent de cette analyse, l’employeur devra adopter les mesures de protection nécessaires.
La CJUE décide ainsi que constitue une discrimination directe sur la base du sexe le fait pour l’employeur d’établir une analyse des risques qui ne comporte pas d’examen spécifique prenant en compte la situation individuelle de la travailleuse enceinte.
Ainsi, conformément au mécanisme de renversement de la charge de la preuve applicable en matière de discrimination, si la travailleuse apporte des éléments laissant présumer que l’analyse des risques a été réalisée mais n’a pas comporté d’examen spécifique, tenant compte de sa situation individuelle, il reviendra à l’employeur de démontrer qu’une analyse conforme à la réglementation a bien été réalisée.
A défaut, la travailleuse pourra prétendre à une indemnisation pour discrimination sur la base du genre. Nous ne pouvons donc qu’attirer l’attention de l’employeur sur le soin à apporter au correct établissement de l’analyse de risques dont question.
Source : C.J.U.E., 19 septembre 2018, affaire C-41/17.