Politique de neutralité dans l’entreprise et port du voile: la question n’est pas encore tranchée

Rappelez-vous, en mars dernier nous commentions l’arrêt de la C.J.U.E. du 14 mars 2017 rendu suite à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge dans son arrêt du 9 mars 2015.

Par son arrêt du 14 mars 2017, la C.J.U.E. décidait qu’une règle interne à l’entreprise interdisant formellement aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle, ne constituait pas une discrimination directe.

La C.J.U.E. rappelait toutefois qu’il n’est pas exclu que le juge national puisse arriver à la conclusion que la règle interne instaure une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou sur les convictions, s’il était établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle contient aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données.  Une telle différence de traitement ne serait toutefois pas constitutive d’une discrimination indirecte si elle était justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires.

L’arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2015 faisait suite à un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 23 décembre 2011. Par cet arrêt, la Cour du travail décidait qu’un employeur qui licencie une travailleuse, qui maintient le port de son foulard religieux malgré les prescriptions du règlement de travail, ne commet pas de faute et ne procède pas à un licenciement abusif. Le travailleuse ne pouvait donc pas prétendre à une indemnité. 

Par son arrêt du 9 octobre 2017, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 23 décembre 2011. La Cour de cassation décide que le droit à l’indemnisation d’un travailleur, licencié en raison du non-suivi d’une interdiction discriminatoire de l’employeur, ne peut pas dépendre de la condition qu’une faute de l’employeur soit démontrée. Autrement dit, ce n’est pas car la faute de l’employeur ne serait pas démontrée que le travailleur ne pourrait pas prétendre à une indemnisation dans l’hypothèse où l’interdiction posée par l’employeur (en l’espèce, la politique de neutralité) serait discriminatoire.

En pratique, cela signifie que la Cour du travail doit vérifier si l’ordre donné par l’employeur, à savoir l’absence de port du foulard, en application de son règlement interne contient une discrimination non autorisée par la directive européenne. La Cour du travail ne doit donc pas uniquement vérifier si une faute a été commise par l’employeur. Elle doit examiner si la politique de neutralité de l’employeur constitue ou non une discrimination.

Se basant sur l’arrêt du 14 mars 2017 de la C.J.U.E., la Cour de cassation précise d’emblée que la politique de neutralité instaurée par l’employeur ne constitue pas une discrimination directe.

Il revient donc à présent à la Cour du travail d’Anvers d’analyser si cette politique de neutralité ne constitue pas une discrimination indirecte sur la base des convictions religieuses, auquel cas le licenciement de la travailleuse serait fondé sur une pratique discriminatoire. Celle-ci pourrait dès lors prétendre à une indemnisation.

Source : Cass., 9 octobre 2017, R.G. n° S.12.0062.N, http://www.juridat.be