
La Cour de cassation a récemment eu à connaître d’un litige portant sur la compétence des juridictions du travail en matière de conflits collectifs. Dans un arrêt du 12 décembre 2022, elle a rappelé que les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour connaître des conflits collectifs qui peuvent survenir en relation avec les conventions collectives applicables.
Contexte du litige
Le débat est né au sein d’une entreprise, suite au refus dans le chef de l’employeur de nommer deux employés cadres en tant que délégués syndicaux et ce, en application d’une CCT sectorielle sur la représentation syndicale. Les employés non soumis à une échelle barémique – tels que les cadres – ne sont en effet pas visés par cette CCT pour la représentation des employés affiliés à un syndicat.
Face à ce refus, les deux travailleurs ainsi que plusieurs organisations syndicales ont alors lancé citation contre l’employeur, demandant qu’il soit dit pour droit que :
(i) tout employé de l’entreprise doit être pris en compte pour déterminer le nombre de mandats à la délégation syndicale et
(ii) tout employé de l’entreprise répondant aux conditions d’éligibilité fixées dans la CCT sectorielle applicable peut faire partie de la délégation syndicale.
En première instance, le Tribunal du travail d’Anvers, division Anvers, s’est déclaré incompétent pour connaître de ce litige.
En appel toutefois, la Cour du travail d’Anvers a considéré que, dans la mesure où elles limitent le champ d’application de la CCT litigieuse aux employés barémisés, certaines dispositions de cette CCT sont discriminatoires et doivent donc être vues comme nulles et non avenues. La Cour a fait droit aux demandes (i) et (ii) citées ci-dessus, en excluant néanmoins le personnel de direction des catégories y visées.
Droit applicable
L’article 578, 3° du Code judiciaire prévoit que le Tribunal du travail connaît des contestations d’ordre individuel relatives à l’application des conventions collectives du travail. Les juridictions du travail connaissent donc des demandes visant à assurer le respect de droits subjectifs individuels consacrés par une CCT applicable dans l’entreprise.
Echappent à leur compétence, les conflits collectifs relatifs aux CCT applicables, tels que ceux visant à imposer une modification d’une CCT existante ou la conclusion d’une nouvelle CCT.
Décision de la Cour de cassation
Selon la Cour, la demande des deux travailleurs et des organisations syndicales en l’espèce vise non pas assurer le respect de droits subjectifs individuels, mais à modifier en substance le régime prévu par la CCT afin d’en étendre le champ d’application à tous les employés. Il s’agit d’un conflit collectif, qui échappe donc à la compétence des cours et tribunaux.
Cette décision est d’autant plus intéressante que, peu de temps avant, la Cour du travail de Mons avait rendu un arrêt en sens contraire dans un cas très similaire. Elle s’est estimée compétente pour en connaître, soulignant que « L’intervention des juridictions du travail en matière de conventions collectives de travail s’insère dans la mission première du pouvoir judiciaire qui est de trancher des contestations ayant pour objet des droits civils et d’ainsi dire le droit dans des cas litigieux » (C. trav. Mons (1è ch.), 15 mars 2019, n° 2018/AM/184, J.T.T., 2020, liv. 1372).
Par son récent arrêt, la Cour de cassation tranche désormais clairement sur la question et apporte ainsi une sécurité juridique accrue – et louable – en la matière.
Source : Cass. (3è ch.), RG S.21.0029.N, 12 décembre 2022, J.T.T. 2022, liv. 1444, 521.