
Dans un arrêt d’août 2022, la Cour du Travail de Liège nous rappelle les conséquences irrémédiables d’un mauvais choix de langue, et les moyens à disposition du plaideur attentif. Même si l’erreur provient du Tribunal lui-même…
Le contexte
Monsieur L est délégué du personnel, et domicilié en Wallonie. La SA dans laquelle il est employé a quant à elle son siège social à Gand, et dispose de sièges d’exploitation à Bruxelles et à Tongres, là où Monsieur L est employé.
Pour des raisons qui ne sont pas spécifiées dans l’arrêt commenté, la SA saisit en application de la loi du 19 mars 1991 le Tribunal du Travail d’Anvers – division Tongres, afin de licencier Monsieur L pour motif grave. Par jugement du 19 novembre 2018, notifié aux deux parties le 19 novembre 2018, le Tribunal reconnait le motif grave. La notification à Monsieur L n’est toutefois pas assortie d’une traduction en français, alors qu’il est domicilié en Wallonie, et que l’article 38 de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire impose la présence d’une telle traduction sauf choix ou accord de la partie à qui la traduction doit être adressée.
Le 5 décembre 2018, Monsieur L n’ayant pas fait appel du jugement, la SA lui notifie son licenciement pour motif grave.
Le 3 janvier 2019, Monsieur L demande toutefois sa réintégration par courrier recommandé. La SA ne donnant pas suite à cette demande, Monsieur L introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège.
En première instance, Monsieur L est débouté de ses demandes tendant au paiement de la double indemnité de protection pour licenciement d’un représentant du personnel sans avoir suivi la procédure adéquate.
L’arrêt
La Cour du Travail de Liège va toutefois en décider autrement. Elle constate en effet tout d’abord que le décret flamand du 19 juillet 1973 concernant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs n’est pas applicable ici, puisque la question concerne le droit judiciaire. Ensuite, la Cour constate que le jugement notifié à Monsieur L est nul de nullité absolue :
- la notification est en effet contraire à l’article 38 précité;
- et le fait que Monsieur L ait participé aux débats devant le Tribunal du Travail d’Anvers division – Tongres ne permet pas de présumer son accord sur l’usage du néerlandais pour la notification du jugement.
Par conséquent, la Cour constate que le délai d’appel contre le jugement de ce même tribunal n’a jamais commencé à courir. Ceci entraine donc la nullité du licenciement pour motif grave, dès lors que celui-ci ne peut être notifié qu’à partir du troisième jour ouvrable suivant l’échéance du délai d’appel (art.12 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats non élus), et fautive la non-réponse de la SA à la demande de réintégration de Monsieur L.
Par son arrêt du 30 août 2022, la Cour du Travail accorde donc à Monsieur L la double indemnité de protection qu’il réclamait.
Cette décision est très sévère pour l’employeur. Toutefois, tout n’est pas perdu pour ce dernier. En première instance en effet, Monsieur L avait été débouté, le premier juge ayant estimé que la question de la traduction devait se régler entre le travailleur et l’Etat belge. Monsieur L, en appel, avait donc cité l’Etat belge en déclaration d’arrêt commun, et la Cour a fait droit à cette demande. Si ce point est important pour l’employeur, c’est que la Cour fait un appel du pied à ce dernier en jugeant:
« Indépendamment de la question de savoir qui – de la SA et/ou de l’Etat belge – est responsable en l’espèce du non-respect de l’article 38 (…) – question dont la Cour n’est pas saisie dans le cadre de la présente procédure –, la sanction applicable en l’espèce est claire : la notification litigieuse est nulle (…). Le Tribunal ne pouvait refuser de poser ce constat comme tel, ni d’en tirer les conséquences entre parties alors à la cause »
Tout espoir n’est donc pas perdu pour l’employeur, qui pourrait éventuellement se retourner vers l’Etat belge pour obtenir des dommages et intérêts équivalents à la somme déboursée en raison de l’erreur du Tribunal du Travail d’Anvers, division de Tongres.
Take Away
Soyez toujours attentifs à la langue de la procédure, mais également à la notification des jugements. La procédure de licenciement des délégués du personnel est pleine de chausse-trappes, tout comme le droit judiciaire. Vous avez un doute? N’hésitez pas à nous contacter.