
L’Autorité de Protection des Données (APD) a récemment classé sans suite la plainte qu’avait introduite un travailleur à l’encontre de son employeur auquel le travailleur concerné reprochait d’avoir pris connaissance et réutilisé des propos diffusés sur les réseaux sociaux qu’il fréquentait pour lui refuser ensuite une promotion.
Dans le cas qui lui était soumis, l’APD a considéré que plusieurs motifs pouvaient justifier ce classement sans suite.
Le premier était que l’employeur était fondé à demander au travailleur concerné de lui communiquer les heures qu’il avait prestées dans le cadre d’une activité complémentaire, et ce pour vérifier leur impact potentiel sur le contrat de travail principal. Le traitement de ces données par l’employeur s’inscrit en effet dans la nécessité du contrat principal auquel le travailleur concerné était partie, ce qui est admissible au regard de l’article 6 (1) (b) du Règlement Général européen sur la Protection des Données (RGPD). En l’occurrence, le travailleur était fonctionnaire et exerçait une activité complémentaire de pompier, laquelle avait été autorisée dans un premier temps et ensuite refusée à l’occasion d’une procédure disciplinaire initiée en raison de propos négatifs tenus par ce travailleur sur certains réseaux sociaux envers les étrangers et le gouvernement. Cette procédure disciplinaire aurait abouti au refus d’une position d’expert-fiscal pour laquelle le travailleur avait pourtant réussi les examens.
Le second motif est que la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà considéré à plusieurs reprises que le droit à la vie privée d’une personne est moindre dans la mesure où la personne concernée elle-même met en avant sa vie privée dans la sphère publique. En d’autres termes, ses « attentes raisonnables » en matière de respect de sa vie privée seront fonction de son comportement sur les réseaux sociaux. En l’occurrence, le travailleur concerné avait permis à tout un chacun – et donc à son employeur – de prendre connaissance de ses prises de position (critiquables) sur les réseaux sociaux concernés. Pour autant, précise l’APD, cela ne permet pas que cette information « publique » soit réutilisable pour n’importe quelle autre finalité. Toutefois, en l’occurrence, la réutilisation de cette information par l’employeur à des fins disciplinaires ayant abouti au non-octroi de la promotion à laquelle aspirait ce travailleur est admissible car elle s’inscrit, à nouveau, dans le cadre du contrat de travail (article 6 (1) (b) du RGPD).
Un dernier motif avancé par l’APD pour justifier ce classement de suite est que la plainte du travailleur s’inscrivait en réalité dans une problématique plus large que le seul respect de la protection de ses données à caractère personnel et qu’il n’appartient pas à l’APD de se prononcer sur la légitimité d’une mesure disciplinaire qui a déjà été adoptée, ni sur l’évaluation d’un travailleur par son employeur.
Qu’en penser ?
Les considérations de l’APD sur ce qu’un travailleur diffuse en ligne ont déjà été consacrées en justice dans le cadre de sanctions prises à son encontre. Ainsi par exemple, le 27 avril 2018, la Cour du travail de Mons avait-elle considéré, à propos de critiques postées sur Facebook par un travailleur envers son employeur, que les informations publiées sur une page Facebook « publique » à laquelle tout internaute a accès, voire même celles dont l’accès est limité aux « amis » du titulaire du profil mais également aux « amis de ses amis » perdent leur nature privative. La Cour a même jugé que les informations accessibles aux seuls « amis » du travailleur concerné doivent être considérées comme publiques lorsque le nombre d’amis du travailleur est important ou lorsque certains d’entre eux font partie du personnel de l’entreprise.
De même, dans sa décision du 1er octobre 2018, le Tribunal du travail de Charleroi indique qu’il n’est pas plausible qu’un utilisateur âgé de 32 ans d’un réseau social utilisé par des millions de personnes dans le monde ait pu ignorer que les publications réalisées via son profil Facebook étaient accessibles à tous les internautes. Partant, si le travailleur avait réellement eu l’intention de conserver sa publication à l’abri du regard des internautes, il aurait dû modifier en conséquence les paramètres de publicité de son compte.
Rappelons toutefois qu’à suivre l’avis rendu le 8 juin 2017 par l’ancien organe consultatif européen indépendant sur la protection des données et de la vie privée, la vérification en cours d’emploi des profils des employés sur les médias sociaux ne devrait pas avoir lieu « de manière généralisée ».
Enfin, tout employeur serait bien avisé de prévoir dans sa réglementation interne l’information appropriée à ce sujet envers ses collaborateurs, ainsi que le sort à réserver aux données collectées à cette occasion. Pour plus d’informations à ce sujet, n’hésitez pas à nous contacter et nous nous ferons un plaisir de regarder ensemble ce qu’il y aurait lieu de mettre en place et/ou d’améliorer.
La décision (NL) de l’APD n° 06/2021 du 28 janvier 2021 est disponible ici :
L’avis n° 2/2017 du groupe de travail Article 29 sur le traitement des données sur le lieu de travail est disponible ici:
https://ec.europa.eu/newsroom/article29/item-detail.cfm?item_id=610169