“Mystery Shopping”: la pratique peut-elle donner lieu à un licenciement pour motif grave ?

Case law (travail au noir)

Dans un récent arrêt du 17 avril 2018, la Cour du travail de Liège, division Liège, a refusé de reconnaitre un motif grave basé sur des manquements constatés dans le cadre d’un « mystery shopping » ou « achat mystère ».

L’employeur exploitait plusieurs bijouteries au sein desquelles la travailleuse licenciée pour motif grave était engagée comme vendeuse.
A l’issue de plusieurs « mystery shoppings » au cours desquels les acheteurs mystères ont constaté des manquements dans le chef de la travailleuse, l’employeur a conclu à un comportement délibéré de non-respect des consignes données justifiant le licenciement pour motif grave, sans préavis ni indemnité.
Dans le cadre de son appréciation du motif grave, la Cour soulève tout d’abord le manque de contradiction. Aucune des évaluations résultant des « mystery shoppings » n’avait été communiquée à la travailleuse avant avertissement ou sanction. Elle relève surtout leur manque d’objectivité. L’employeur ne prouve pas le comportement délibéré de la travailleuse, qui se distinguerait d’un constat de négligence, d’incompétence, de maladresse, d’une attitude démotivée ou d’un rendement défectueux.
Elle conclut sur cette base que les évaluations résultant du « mystery shopping » et avancées par l’employeur ne peuvent pas fonder un licenciement pour motif grave.

Que retenir ?

L’arrêt est tout d’abord intéressant en ce qu’il traite d’un licenciement pour motif grave fondé sur l’incompétence d’un travailleur. S’il n’est a priori pas exclu qu’une incompétence constitue une faute grave, la gravité de la sanction nécessite cependant de prouver un comportement délibéré du travailleur qui rapprochera son incompétence d’un comportement d’insubordination ou volontaire plutôt que d’une simple négligence ou d’une maladresse.

Il l’est surtout en ce qu’il aborde la pratique du « mystery shopping ». A l’instar de cette pratique, les « tests de situation » et autres enquêtes internes sont en effet de plus en plus répandus chez les employeurs.

A cet égard, la Cour transpose les enseignements déjà appliqués aux entretiens d’évaluation. L’employeur doit veiller à objectiver autant que possible ses constats, par exemple en les expliquant plutôt qu’en se limitant à une cotation subjective. Il doit également veiller à la contradiction, en permettant au travailleur de se prononcer sur les constats de l’employeur, et éventuellement de les contester.

En outre, elle relève d’autres obstacles juridiques non soulevés par la travailleuse mais pertinents, à savoir :
– Ces enquêtes ne constituent-elles pas une ingérence de l’employeur dans la vie privée de ses travailleurs ?
– L’intervention des « clients mystères » est-elle valide au regard des dispositions réglementant la profession des détectives privés ?
– Les données personnelles récoltées par ces « clients mystères » sont-elles traitées conformément aux dispositions applicables en matière de protection des données à caractère personnel, notamment le R.G.P.D. ?

Ces questions mériteraient d’être analysées pour s’assurer que les constats résultant de ces pratiques constituent un mode de preuve légal.

Source : C.T. Liège, division Liège, 17 avril 2018, RG 16/335/A, disponible sur http://www.juridat.be