La jurisprudence sur le « licenciement manifestement déraisonnable » commence à paraître

Depuis le 1er avril 2014, la C.C.T. n° 109 assure une certaine motivation du licenciement, tant pour les ouvriers que pour les employés.

Pour rappel, elle prévoit une indemnisation en cas de « licenciement manifestement déraisonnable ». Le montant de l’indemnisation varie entre 3 et 17 semaines de rémunération, selon la gradation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

La jurisprudence est attendue avec impatience. En effet, l’on sait que le « licenciement manifestement déraisonnable » s’inspire du « licenciement abusif » auparavant en vigueur pour les ouvriers. Cependant, seule la jurisprudence nous permettra de bien cerner cette nouvelle notion ainsi que le risque d’indemnisation dans le chef de l’employeur.

Récemment, le Tribunal du travail d’Anvers a du se prononcer sur le caractère « manifestement déraisonnable » d’un licenciement.

Dans la lettre de motivation du licenciement, l’employeur fondait sa décision sur le fait qu’il avait constaté qu’au cours de l’année, le travailleur avait déjà été absent durant plus de 60 jours, et ce en raison d’une incapacité de travail de longue durée. Cette incapacité de travail de longue durée augmentait de manière importante la charge de travail de ses collègues, situation qui n’était pas soutenable. En outre, le travailleur avait exprimé l’intention de demeurer absent jusque la fin de l’année, par d’autres moyens si son incapacité de travail devait ne pas être prolongée.

Le Tribunal a considéré que l’employeur ne rapportait pas la preuve de ces motifs.

D’une part, il ne démontrait pas le comportement reproché au travailleur. Il avançait une attestation d’une employée auprès de laquelle le travailleur s’était confié, de laquelle il ressortait uniquement que celui-ci entendait prendre ses jours de congé légaux à l’issue de son incapacité de travail, ce que le Tribunal ne trouve pas anormal. Selon le Tribunal, il aurait été nécessaire que l’employeur s’assure davantage de l’intention du travailleur en ce qui concerne la période suivant son incapacité de travail.

D’autre part, il ne démontrait pas les nécessités de l’entreprise. Il ne prouvait ni le fait que le travailleur n’aurait pas pu compenser à son retour l’augmentation de la charge de travail ni que le licenciement était nécessaire pour faire face à la surcharge de travail et pour pouvoir chercher un remplaçant au travailleur.

Il conclut que le licenciement est dès lors manifestement déraisonnable.

Concernant la gradation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, le Tribunal relève l’absence d’éléments objectifs fondant la décision de l’employeur. Il le condamne à payer au travailleur une indemnité correspondant à 8 semaines de rémunération.

Selon nous, les principaux enseignements de ce jugement sont les suivants :

  • Le Tribunal souligne que le juge est chargé d’un contrôle marginal, respectant la liberté d’action de l’employeur en ce qui concerne la gestion de son entreprise, et se contentant de vérifier le caractère « manifestement déraisonnable » du licenciement.
  • Cependant, il procède à un examen poussé des motifs invoqués par l’employeur, en vérifiant leur objectivité et si la preuve de ceux-ci est rapportée.
  • Pour un licenciement qui, selon le Tribunal, n’était pas fondé sur des éléments objectifs, l’employeur est condamné à payer au travailleur une indemnité équivalente à 8 semaines de rémunération, soit la moitié de l’indemnité totale de 17 semaines de rémunération qu’il est possible d’octroyer.

Source: T. trav. Anvers, 9 décembre 2015, R.G. 15/17269.