
Dans une affaire récente, le Tribunal du travail Francophone de Bruxelles a eu l’occasion de rappeler les limites du contrôle exercé par le juge sur les raisons d’ordre technique ou économiques invoquées dans le cadre du licenciement d’un représentant du personnel.
Le contexte
Lorsqu’un employeur est contraint de réorganiser (une partie de) son entreprise pour des motifs économiques ou techniques, il est fréquent que parmi les travailleurs concernés par cette réorganisation se trouvent des travailleurs bénéficiant d’une protection particulière, en raison de leur qualité de représentant du personnel. Cette protection donne droit à ces travailleurs, hors le motif grave ou précisément l’existence de raisons d’ordre techniques ou économiques, au paiement d’une indemnité de protection très élevée.
Lorsque le licenciement est la suite de raisons d’ordre économique, il serait particulièrement sévère pour l’employeur de devoir payer une indemnité de protection alors même qu’a priori, le licenciement n’entretient pas de rapport avec la qualité de représentant du personnel. Afin d’éviter les abus, le législateur impose toutefois aux employeurs de préalablement soumettre à l’organe paritaire compétent les motifs économiques invoqués. Cet organe décide ensuite si oui ou non, les motifs justifient le ou les licenciements. Dans l’affirmative, le licenciement est autorisé et s’agissant d’un licenciement régulier, l’indemnité de protection n’est pas due.
En 1993 (arrêt 57/93), la Cour constitutionnelle a décidé que l’absence de recours juridictionnel contre la décision de l’organe paritaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Ceci a donc mené à la mise en place d’un contrôle par les juridictions du travail, dont les contours ont été posés par la Cour de Cassation, notamment dans un arrêt du 12 mars 2018. A suivre cet arrêt, le juge peut en effet contrôler l’existence des motifs dont question dans la décision de l’organe paritaire. Il ne peut toutefois contrôler l’opportunité des mesures prises par l’employeur, sous peine de s’immiscer dans la vie de l’entreprise et la manière dont l’employeur décide de ses affaires.
Le jugement
Monsieur A. était représentant non-élu du personnel et affilié du syndicat B., et travailleur d’une société C. fournissant divers services. Monsieur A. était occupé chez un client de ladite société. Ce client décide toutefois de déménager. Ce déménagement, dans un bâtiment offrant déjà des facilités, entraine une réduction drastique des services nécessaires. Par conséquent, la société C. invoque l’existence de motifs économiques (la réduction d’activités) avec succès devant l’organe paritaire, entrainant la levée de la protection de Monsieur A.
Dès l’instant où le déménagement du client devient effectif, Monsieur A. est donc licencié, moyennant le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis légale.
Quelques mois plus tard, Monsieur A. s’avise que les motifs de son licenciement ne lui seraient pas connus, et que la raison économique invoquée est inexistante. Il introduit donc une procédure en faisant valoir principalement que:
- n’ayant pas été informé de la décision de l’organe paritaire, elle ne lui est pas opposable;
- le client de la société C. n’étant pas son employeur, les motifs économiques invoqués ne lui sont donc pas opposables;
- le client de la société C. continue ses activités sur un autre site, ce qui rend les motifs économiques fallacieux.
Le Tribunal expose que :
- l’employeur n’a pas l’obligation d’informer les travailleurs de la demande de levée de la protection formulée envers l’organe paritaire;
- il est difficile de croire que Monsieur A., membre du syndicat B., lequel est représenté dans cet organe, n’aurait pas été mis au courant de ce processus;
- le déménagement a bien eu des répercussions économiques sur le société C., et Monsieur A. ne peut donc s’en affranchir;
- la société C. prouve l’existence des motifs économiques, à savoir la diminution de l’activité suite au déménagement, ce qui est donc suffisant au vu des principes rappelés ci-avant.
Enfin, le Tribunal rappelle que l’indemnité compensatoire de préavis légale ne se cumule pas avec l’indemnité de protection, chose que Monsieur A. avait semble-t-il perdu de vue.
Take-away
Pour plus de sureté, veillez à toujours bien documenter les processus de demande de levée de protection des travailleurs, et à toujours communiquer clairement envers les travailleurs.