Des éléments de la vie privée peuvent-ils être invoqués pour refuser de nommer un agent ?

La Cour européenne des droits de l’homme a répondu à cette délicate question dans un arrêt Yilmaz contre Turquie du 4 juin 2019.

Monsieur YILMAZ, enseignant en culture religieuse, avait réussi avec succès un concours en vue d’accéder à un poste d’enseignant à l’étranger. Aucun poste ne lui a cependant été proposé alors que cela avait été le cas pour des candidats moins bien classés que lui au concours.

Les éléments invoqués à l’appui du refus de sa nomination concernaient sa situation personnelle et plus particulièrement : une arrestation ancienne pour laquelle un non-lieu avait été prononcé, son mode de vie et le voile islamique porté par son épouse.

Cette décision a immédiatement été contestée par Monsieur YILMAZ devant les instances nationales en Turquie. Il a été débouté de sa demande et a porté sa cause devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Il a soutenu que la Turquie avait violé les principes suivants consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme :

  • Droit à un procès équitable dans un délai raisonnable (article 6 §1 CEDH) ;
  • Droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH).

La décision de la Cour pose un premier constat et relève que la procédure a duré environ 4 ans et 11 mois devant les juridictions administratives dont 3 ans et 7 mois devant le Conseil d’Etat. Après un examen des circonstances de la cause, la Cour considère que la procédure a connu une durée excessive, incompatible avec l’exigence du « délai raisonnable » et estime que l’article 6 §1 CEDH a été violé.

Concernant le droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour observe que les motifs à l’origine de la non-nomination de Monsieur YILMAZ ont uniquement trait à sa vie privée. Dès lors, il s’agit d’une ingérence portant atteinte à l’article 8 précité qui n’est justifiable que si un but légitime est poursuivi.

En l’occurrence, la Cour constate que l’administration turque ne s’est jamais prononcée sur les compétences ou les capacités de Monsieur YILMAZ à exercer la fonction à l’étranger. De plus, aucune explication quant aux raisons d’intérêts publics ou quant aux nécessités et aux spécificités des services d’éducation et d’enseignement justifiant la légitimité de la mesure n’est apportée. La Cour rappelle que dans certaines circonstances, les exigences propres à la fonction publique puissent impliquer la prise en compte d’éléments liés à la vie privée comme le voile porté par son épouse. Cependant, dans le cas d’espèce, la Cour déclare qu’elle ne perçoit pas dans quelle mesure le voile pourrait porter atteinte aux impératifs d’intérêts publics ou aux nécessités des services d’enseignement et d’éducation.

La Cour conclut à la violation de l’article 8 de la CEDH.

Que retenir ?

Le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CEDH est un droit fondamental qui doit être garanti par les Etats. Toutefois, une ingérence dans ce droit est permise et ce uniquement si celle-ci peut être justifiée par des raisons d’intérêts publics portant sur des circonstances incompatibles avec les nécessités et les spécificités du service.

Source : Cour eur. D.H., arrêt Yilmaz c. Turquie, 4 juin 2019, req. n° 36607/06.